jeudi 19 juillet 2012

La Tunisie : les premiers pas vers la démocratie?




Simone Susskind revient de Tunisie, un pays qu'elle connaît bien et qu'elle parcourt depuis longtemps. Pour elle, la question des femmes et de leur place est centrale. C'est au travers de celles-ci que pourra se juger l'évolution de cette société en transformation.

Les révoltes et les révolutions qui secouent le monde arabe sont loin du bout du chemin.
Tous les acteurs locaux et les observateurs internationaux sont bien conscients qu’il faudra beaucoup de temps pour surmonter de tels séismes.
A la différence des pays d’Europe de l’Est, qui ont émergé de la chute du Mur de Berlin en 1989 et qui accèdent les uns après les autres à la démocratie même s’ils sont encore loin d’avoir chassé les vieux démons hérités des régimes communistes, comme récemment, la Hongrie et la Roumanie, les pays arabes ne se sont pas vus offrir la perspective de l’adhésion à l’Union Européenne. Et surtout, l’Islam politique est sorti des urnes dans plusieurs d’entre eux, après avoir été interdit ou toléré par les régimes autoritaires qui ont dominé la scène politique durant des décennies.
La Tunisie, ce petit pays si proche de l’Europe, est confrontée elle aussi à ces défis immenses. Elle a été la première à montrer le chemin du rejet de la dictature, même si nous ne devons pas oublier que les Iraniens se sont révoltés contre leurs dirigeants, suite au détournement de leur vote à l’élection présidentielle de juin 2009.
Le sort des femmes
Le test principal du processus en cours - rédaction de la nouvelle Constitution, recomposition du paysage politique, liberté de la presse, justice transitionnelle- se jouera sur la place des femmes dans la société.
Si aucune loi n'est venue remettre en cause, jusqu'ici, les acquis des femmes – les plus avancés dans le monde arabe depuis l'adoption, en 1956, du code du statut personnel et si, au contraire, lors des premières élections libres de l’Assemblée nationale constituante d'octobre 2011, le principe de listes paritaires, une première, avait été entériné par tous les partis, la situation se dégrade.
La pression sur les femmes s’accentue: injures proférées à l’encontre de celles qui ne sont pas " habillées de manière modeste ", attaques sur "Facebook " contre des femmes politiques accusées de consommer de l’alcool, tensions dans la rue, rumeurs et manifestations violentes contre celles et ceux " qui ne respectent pas la personne du Prophète ". Des enseignantes sont agressées, insultées par des salafistes et des prédicateurs venus de l'étranger arpentent le pays, sans que le gouvernement réagisse de manière claire.
Entre les fondamentalistes religieux et une partie de la société, la bataille s'est aussi cristallisée autour du port du niqab, le voile intégral, qui a fait son apparition après la révolution. Depuis le 6 décembre 2011, les cours de la faculté des lettres de la Manouba, à côté de Tunis, sont tous les jours perturbés, même si cela concerne seulement une poignée d'étudiantes soutenues par des salafistes. "C'est toute une atmosphère, une guerre d'usure.. selon une activiste des droits des femmes.
Je rentre de Tunis. Le pays est en pleine ébullition.
D’une part, le monde politique opposé aux islamistes est dans une phase de recomposition après son retentissant échec à l’élection de l’Assemblée nationale constituante: plus de 100 partis s’étaient présentés alors qu’Ennahda y était allé “comme un seul homme”. (il est important de rappeler que seuls 50% des électeurs se sont rendus aux urnes en octobre dernier).
Il semble que pour les prochaines échéances électorales, les Tunisiens auront le choix, outre les partis islamistes (Ennahda et deux partis salafistes reconnus récemment), entre quelques coalitions de partis centristes orientés plus a gauche ou à droite.
Une société civile en ébullition
Mais ce qui frappe l’observateur étranger, c’est la vitalité de la société civile. Des centaines de nouvelles organisations en tous genres se sont créées et apprennent petit à petit à travailler ensemble et à s’organiser : ONG de défense des droits des femmes, culturelles, entrepreneuriat social, travaillant sur des questions de justice transitionnelle, sur la liberté des médias, etc. Elles sont appelées à jouer un rôle essentiel dans le combat pour la démocratie et l’avenir de leur pays. On a déjà pu le constater dans les débats qui ont opposé les islamistes et les partis d’opposition sur l’inscription de la Charia comme base de la législation dans l’article 1 de la Constitution et sur laquelle Ennahda a reculé sous la pression de la société civile.
Ennahda vient de tenir son premier congrès dans la Tunisie libre. Ses dirigeants sont conscients des limites de leur pouvoir. Ils savent aussi qu’ils devront rendre des comptes sur leur gestion du pays dans le domaine social et économique.
La rédaction de la nouvelle Constitution tunisienne devrait se terminer en octobre prochain et des élections à tous les niveaux de pouvoir se tiendront durant l’année 2013. Les mois qui viennent constitueront un test de la capacité des membres du gouvernement, de l’Assemblée constituante et de la société civile de mener ce processus dans le respect mutuel, vers la construction d’une société plus équitable et plus juste. Les défis sont immenses mais je suis convaincue que les Tunisiennes et les Tunisiens sont capables de s’y confronter. Les amis de la Tunisie seront à leurs côtés.
Simone Susskind, Présidente Actions in the Mediterranean
Militante de la paix entre Israéliens et Palestiniens, Simone Susskind a été une des premières à organiser concrètement le dialogue entre les deux communautés. Depuis des années, elle se bat aussi contre les dictatures du Maghreb et pour une reconnaissance du droit des femmes dans cette région. Élue femme de l’année en 91, elle conseille le président du PS sur les questions internationales

source: rtbf.be